Le cinéma a-t-il des limites ?


J’ai twitté récemment la bande-annonce de ce qui serait sans doute – sur mon propre échantillon, je ne peux pas me vanter d’avoir tout vu – le long métrage le plus glauque du moment. Peu de temps après, j’apprends que le genre horrifique pourrait bien faire son chemin dans l’animation 3D. (Âmes sensibles, ne cliquez pas, je vous aurais prévenus)

Ce genre de « prouesses » pose (et repose) toujours la même question : devrait-on fixer une limite dans ce que le cinéma peut montrer ?

Les films d’horreur mettent régulièrement notre éthique à l’épreuve, surtout lorsqu’ils outrepassent les barrières au niveau visuel. On peut détester cette façon de banaliser la violence extrême, et de heurter la sensibilité des spectateurs plus fragiles, tout ça pour un spectacle à priori gratuit.

Le spectacle de l’horreur, pire que l’idée de l’horreur ?

La violence crue, présentée comme un divertissement, serait-elle donc plus perverse que celle, implicite, que l’on côtoie par exemple dans nos journaux au quotidien ?

On oublie qu’un film est plus terrifiant lorsqu’il suggère plutôt que de montrer. Les meilleurs films du genre reposent sur ce principe : une ambiance angoissante, bien plus efficace que l’horreur directe quand on connaît la recette (notre fameuse peur de ce qui se cache dans le noir).

Les images ont un pouvoir choquant certain ; mais l’esprit humain est toujours capable d’imaginer bien pire, car il se réfère à ses propres terreurs. L’excès visuel (et impersonnel) de la violence devient alors, à l’inverse, une façon de la dédramatiser par l’exagération.

La théorie du mauvais exemple

L’idée que le spectacle de la violence nous transforme en monstres est rassurante : elle alimente cette croyance en la nature fondamentalement « bonne » de l’être humain, qui ne peut être corrompue que par des facteurs extérieurs « malsains »1.

Le problème, c’est que l’application d’une censure devrait en théorie s’appliquer à l’ensemble du cinéma – si on veut rester cohérent. Or beaucoup de films contiennent de la violence, qu’elle soit justifiée ou non. Les films d’action, mais aussi les drames, certains documentaires, les films historiques…

Un film comme American History X contient de la violence (pour mieux véhiculer son message). Devrait-on l’interdire ? Un film comme Kill Bill contient de la violence graphique absolument irréaliste (dans un but caricatural et esthétique), devrait-on l’interdire ?

La théorie de la catharsis

L’argument du « mauvais exemple » n’est pas un point de vue universel.

Les grecs croyaient dans l’Antiquité qu’un spectacle mimant le réel (et ses facettes les plus sombres) « purge » nos passions violentes et nous empêche de les exprimer dans la réalité. On appelle cela la catharsis. Selon les points de vue, elle fonctionne :

  • soit par la procuration, en montrant ce que serait la réalité poussée à un certain extrême pour réveiller notre conscience ;
     
  • soit par l’émotion, qui est ressentie de façon très forte mais pas considérée comme réelle grâce au dispositif scénique – le fait d’être tranquillement dans une salle, devant un écran.

Comme tout art, le cinéma (et avant lui, le théâtre) veut transmettre des émotions. La frayeur, la douleur, le dégoût en font partie au même titre que la joie ou la tristesse, qui sont plus valorisées mais participent pourtant au même processus.

Les limites et leur subjectivité

Bien sûr, il est difficile de parler du cinéma en tant qu’art à l’ère où, comme d’autres (musique, littérature, architecture…) il est devenu essentiellement un produit de commerce vendu en série. Pourtant, il s’agit également d’un travail créatif, et se questionner sur la censure au cinéma revient à se questionner sur la censure de l’art.

Doit-on imposer des limites à l’art ? est une problématique qui ne date pas d’hier, et qui est d’autant plus épineuse qu’elle évolue elle aussi en fonction de son époque. Toutes les tendances artistiques sont éphémères : elles changent avec la culture, l’âge, les mœurs.

L’horreur est une notion très subjective. Ce qui effrayait hier fait sourire aujourd’hui. Certains sont sensibles au pouvoir des images, d’autres les voient seulement comme du mimétisme ou de la caricature – et s’en détachent parfaitement.

« On peut rire de tout, mais pas avec tout le monde »

Cette citation de Pierre Desproges est pertinente, même quand on ne parle pas d’humour. L’horreur a ses détracteurs et ses fanatiques ; comme pour le rire, il est difficile de trouver où est son juste milieu.

Poser des limites, censurer, revient à créer un modèle standard de « bon goût » ou de « bienséance » qui est un premier pas vers le contrôle des valeurs et des idées – un procédé pernicieux, comme chacun le sait. Comment peut-on juger objectivement ce qui est choquant ? Si c’est dangereux ou au contraire salutaire ?

Il existe des compromis intelligents – par exemple, la classification de films, système qui ne censure pas l’œuvre elle-même mais la déconseille à un certain public.

Reste que l’horreur, comme le drame ou la comédie, nous permet de définir nos propres limites – on est libre de choisir de la regarder ou pas, tandis que la censure n’offre pas d’alternative.

Je laisse donc le plaisir de visionner des films comme The Human Centipede à ceux que ce genre de concept divertit – parce qu’il est vrai que, pour ma part, ils ne font pas partie de ma vision du 7e art.
 

1 Rappelons que les américains avaient, pour cette raison, accusé la musique du rocker Marylin Manson d’être partiellement responsable du massacre de Columbine.


One Response to « Le cinéma a-t-il des limites ? »

  • 3 décembre 2010 à 17h24
    Zaps dit :

    alors je réagis en vrac donc ça sera sûrement dans le désordre...

    - Je trouve que ta partie "les limites et leur subjectivité" commence mal... depuis son apparition, le cinéma est un produit industriel de (plus ou moins) grande série, cet aspect est une partie intégrante du cinéma, le film (qui désigne aujourd'hui le contenu, mais qui est censé au départ désigner le contenant) est, et a toujours été à la fois oeuvre artistique et produit industriel de consommation..

    - il n'y a pas de limite à ce qu'on peut montrer à mon avis... la seule véritable limite qui ait un sens, c'est plutôt "à quoi est-ce que j'accepte de m'exposer volontairement ?"

    Sans tomber dans l'extreme inverse, qui consisterait à dire que l'on DOIT tout montrer, je pense que la censure n'a pas de raison d'être, quel que soit son motif ou ses critères...


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